Les questions liées à « l’asile fondée sur l'orientation sexuelle » sont extrêmement sensibles et délicates puisqu’elles touchent au domaine de l’intime : nous tenterons néanmoins d’en aborder les contours au travers de cet article.

Aujourd’hui 75 pays à travers le monde pénalisent l’homosexualité (emprisonnement ou mort pour 13 d’entre eux), obligeant des hommes et des femmes à trouver refuge dans des états respectueux de leurs droits. Parfois, c’est la société elle-même qui ostracise sa communauté LGBT : discriminations, violences physiques, mariages forcés….

 

Alors comment prouver sa différence et son besoin de protection quand on a dû cacher son identité sexuelle toute sa vie ?

 

Tout d’abord, quelques définitions :

 

L’orientation sexuelle se réfère à « la capacité de chacun de ressentir une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle envers des individus du sexe opposé, de même sexe ou de plus d’un sexe, et d’entretenir des relations intimes et sexuelles avec ces individus »

 

L’identité de genre se réfère à « l’expérience intime et personnelle, de (leur) genre profondément vécue par chacun, qu’elle correspondeOu non au sexe assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle du corps et d’autres expressions du genre » (habillement, discours, comportement).

 

Focus sur la loi

Convention de Genève :

Article 1er A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 stipule que :

"le terme de réfugié s'applique à toute personne craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner".

 

Focus sur la jurisprudence

En 1997, la France dans sa décision CE, SSR, 23 juin 1997, 171858, reconnait pour la première fois le statut de réfugié en raison de l’identité de genre du requérant. En l’espèce, un transgenre algérien débouté par la CNDA avait saisi le Conseil d’État. Ce dernier, a estimé que la CNDA en ne regardant pas si les transsexuels constituaient un groupe social en Algérie, avait commis une erreur de droit. Le conseil d’état a par la suite, étendu la notion de groupe social aux homosexuels dans sa décision de 1999.

CE, 23 juin 1997, Ourbih : req.n°171858 :

« les craintes de persécutions alléguées par le requérant ne pouvaient être rattachées à l'appartenance à un groupe social au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, sans rechercher si les éléments qui lui étaient soumis sur la situation des transsexuels en Algérie permettaient de regarder ces derniers comme constituant un groupe dont les membres seraient, en raison des caractéristiques communes qui les définissent aux yeux des autorités et de la société algériennes, susceptibles d'être exposés à des persécutions, la commission n'a pas légalement justifié sa décision »

 

CRR 12 mai 1999, Djellal req 2000,201 :

« Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans les conditions qui prévalent actuellement en Algérie, les personnes qui revendiquent leur homosexualité et entendent la manifester dans leur comportement extérieur sont, de ce fait, exposées tant à l'exercice effectif de poursuites judiciaires sur le fondement des dispositions du code pénal qui répriment l'homosexualité qu'à des mesures de surveillance policière et à des brimades ; que, dans ces conditions, les craintes que peut raisonnablement éprouver M. D. du fait de son comportement en cas de retour dans son pays doivent être regardées comme résultant de son appartenance à un groupe social au sens des stipulations précitées de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève »

 

Enfin par la directive qualification Directive 2011/95/UE : article 10, confirmée par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 novembre 2013 : la définition du groupe social a été étendue à l’orientation sexuelle.

DIRECTIVE 2011/95/UE article 10 :

 « En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. L’orientation sexuelle ne peut pas s’entendre comme comprenant des actes réputés délictueux d’après la législation nationale des États membres. Il convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe ; »

 

CJUE, 7 novembre 2013, X., Y., & Z. contre Minister voor Immigratie en Asiel

Ce que dit l’arrêt :

  • Les personnes homosexuelles doivent être considérées comme formant un groupe social.
  • L’existence d’une législation pénale visant spécifiquement les homosexuels ne constitue pas en tant que telle un acte de persécution.
  • Une peine d’emprisonnement qui est effectivement appliquée constitue un acte de persécution.
  • Le niveau de gravité est jugé suffisant lorsque la peine d’emprisonnement est effectivement appliquée.
  • Les autorités doivent donc rechercher si une telle législation est appliquée en pratique.
  • Le requérant n’a pas à cacher ou à faire preuve de discrétion dans l’expression de cette orientation sexuelle pour éviter les sanctions car cette caractéristique est « à ce point essentielle pour l’identité́ qu’il ne devrait pas être exigé des intéressés qu’ils y renoncent ».

Le Conseil d’État, quant à lui, est un peu plus souple dans la définition des actes de persécution puisqu’il juge que quand l’homosexualité ne fait l’objet d’aucune disposition pénale répressive spécifique, les persécutions peuvent parfois reposer sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées ou sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou simplement tolérés par elles.

CE 8 février 2017 M. B. n° 396695 C

 

Prouver son Orientation sexuelle devant l’OFPRA et la CNDA

Ce qui se joue lors de l’entretien OFPRA c’est avant tout l’évaluation de la crédibilité de la demande :

La jurisprudence a progressivement élargi les bénéficiaires de la qualité de réfugié pour les personnes LGBTI au travers de la notion de groupe social mais elle a aussi conduit les autorités nationales à se focaliser sur l’appréciation de la crédibilité de l’orientation sexuelle alléguée.

Le problème est que ni la CJUE ni la Directive 2011/95/UE et pas même la Convention de Genève ne prévoient de dispositions quant à la manière d’évaluer la crédibilité du demandeur d’asile fondant sa requête sur son orientation sexuelle. Dès lors, cette évaluation doit se fonder sur l’article 4 de la directive 2004/83, chapitre II ayant attrait à « l’évaluation des faits et des circonstances ».

Pour éviter les dérives et mettre fin à des pratiques choquantes permettant aux État d’avoir leurs propres critères d’évaluation, la CJUE réunie en grande chambre dans les affaires jointes C‑148/13 à C‑150/13 datant du 2 décembre 2014 à interdit quatre pratiques.

  • Interrogatoires portant sur les détails de la vie sexuelle des requérants
  • Preuves se basant sur des tests médicaux, des vidéos ou des photographies
  • Possibilité de rejeter une demande d’asile pour défaut de crédibilité quand le requérant a déclaré tardivement son orientation sexuelle
  • Possibilité de rejeter une demande sur le seul fondement de réponses « incorrectes» apportées à des questionnaires élaborés sur la base d’une conception stéréotypées de l’orientation sexuelle

 

C‑148/13 à C‑150/13 datant du 2 décembre 2014 : extraits

 

« Les interrogatoires concernant les détails des pratiques sexuelles des demandeurs d’asile » au motif que ces derniers étaient « contraires aux droits fondamentaux garantis par la Charte, et notamment, au droit au respect de la vie privée et familiale (…) »

La CJUE a aussi condamné la possibilité « pour les autorités nationales d’accepter l’accomplissement d’actes homosexuels, leur soumission à d’éventuels « tests » en vue d’établir leur homosexualité ou encore la production par les demandeurs de preuves telles que des enregistrements vidéo de leurs actes intimes » au motif que ces pratiques sont « de nature à porter atteinte à la dignité humaine »

La Cour estime que l’incapacité des requérants à répondre « correctement » à des questionnaires fondés sur une conception stéréotypée des homosexuels ne peut pas être « un motif suffisant en vue de conclure au défaut de crédibilité » d’un demandeur d’asile, « en ce qu’il ne permet pas auxdites autorités de tenir compte de la situation individuelle et personnelle »

Pourtant, la Cour reconnaît que ces questionnaires ne sont pas pour autant contraires à la Directive 2011/95/UE et qu’ils « peuvent constituer un élément utile à la disposition des autorités compétentes aux fins de cette évaluation »

 

Cette dernière disposition est troublante et on peut se demander si elle n’est pas en contradiction avec les arguments développés plus haut. En effet, la Cour estime qu’un homosexuel qui ne saurait pas répondre à une question stéréotypée telle que : « fréquentez-vous des bars gais :  citez-moi des noms ? ou connaissez-vous le marais ? »,

En cas de réponses négatives ou évasives, cela ne saurait être retenu contre lui pour évaluer la crédibilité de sa demande sauf si la Cour tient compte de sa situation individuelle et personnelle.

Autrement dit dans notre exemple, si le demandeur d’asile habite en plein milieu du marais en face de plusieurs bars LGBTI et qu’il ne les fréquente pas, en se fondant sur sa situation individuelle et personnelle, la Cour pourrait considérée que sa demande d’asile manque de crédibilité alors même que la question posée est stéréotypée.

 

Pour le Conseil d’État au travers d’une récente décision : CE 8 février 2017 M. D. n° 397745 , la CNDA ne commet pas d’erreur de droit lorsqu’elle n’exige pas que le requérant établisse la réalité de son orientation sexuelle mais qu’elle se fonde sur le caractère faiblement circonstancié et contradictoire de son récit .

 

CE 8 février 2017 M. D. n° 397745 C.

« Elle ne peut exiger de ce dernier qu’il apporte la preuve des faits qu’il avance et, en particulier, de son orientation sexuelle, mais elle peut écarter des allégations qu’elle jugerait insuffisamment étayées et rejeter, pour ce motif, le recours dont elle est saisie. »

 

L’OFPRA quant à elle, semble avoir pris le problème des demandes LGBTI au sérieux puisqu’elle met en place depuis quelques années des groupes de travail dédiés.

Voir site internet : https://ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/l-ofpra-mobilise-en-faveur-des

 

Sources http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=160244&doclang=FR

 http://ilga.org/maps-sexual-orientation-laws

 Les principes de Jogjakarta :principes sur l’application de la législation internationale des droits  humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, Yogyakarta Principles, Mars 2007. 


Convention de Genève, Jurisprudence CNDA et Conseil d’État,  Directive qualification

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