Dans la plupart des discours politiques, les migrants sont présentés comme des clandestins voire des délinquants ne respectant pas l’intégrité du territoire français. Entrés sans droit, ils n’auraient pas de droits. L’usage du terme « jungle » pour qualifier les campements de migrants signifie bien qu’ils ne sauraient être traités comme des humains. Évidemment, cette vision oublie volontairement les conditions de leur arrivée en France : guerres conduites par les États occidentaux, pauvreté, faim et répression politique. Elle fait également l’impasse sur les droits que, malgré tout, les migrants et notamment les demandeurs d’asile peuvent faire valoir. Car ils ont des droits. Loin des caméras et des gesticulations politiques, les réfugiés ont alors affaire avec une réalité méconnue et pourtant bien souvent aussi inhumaine : les services de l’État. Dans l’entretien qui suit, Alice, travailleuse sociale dans une association parisienne accueillant les familles réfugiées, décrit les conditions d’accueil et de prise en charge des réfugiés. Plongées dans un dédale administratif où la pauvreté des moyens n’a d’égale que le peu d’empressement à faire appliquer et respecter le droit des migrants.
Accompagner les réfugiés pour faire valoir leurs droits
TDL : Est-ce que tu peux me parler de ton travail ?
Alice : Je travaille au service « Réfugiés » d’un centre d’action sociale parisien [1]. On n’accueille pas de personnes seules, uniquement des familles qui ont été reçues pendant leur demande d’asile par un service parisien qui s’appelle la CAFDA (Cellule d’accueil des familles en demande d’asile). C’est la plateforme parisienne de toutes les familles qui font la demande d’asile à la préfecture de Paris. Et ces familles-là, pour la plupart, elles doivent être hébergées en hôtel par le Samu Social de Paris mais elles peuvent être hébergées sur toute l’Ile-de-France. Ensuite, les familles qui ont le statut de réfugié ou de protection subsidiaire, qui sont reconnues comme étant protégés par l’OFPRA (Organisme français de protection des réfugiés et apatrides, qui statue sur les demandes d’asile) ou la Cour nationale du droit d’asile, sont orientées vers notre service.
Et ça représente combien de familles à l’année ?
Je crois qu’on est à plus de 400 familles à l’année. Pour 5 travailleurs sociaux, 2 conseillers professionnels, une agent d’accueil, une prof de français et une chef de service. Ca fait 8,5 personnes en équivalent d’un temps plein. Ça fait qu’on a une file active de 65 familles en moyenne. La file active, c’est le nombre de familles qu’on est censés recevoir à un instant « t ». Et notre boulot, c’est de les accompagner à partir du moment où elles ont le statut de réfugié (ou de protégé subsidiaire[2]) jusqu’à ce qu’elles quittent l’hôtel du Samu Social. Quand elles quittent l’hôtel du Samu Social, ce n’est plus de notre ressort, elles sont censées être prises en charge soit par d’autres associations, soit par le service social de secteur. La principale mission, ça va être l’ouverture de droit. Quand les familles arrivent, elles n’ont souvent pas de ressources. On va s’occuper de toutes les démarches administratives : dossiers à la CAF, couverture maladie, les demandes de logement, forcément. Et après, toute la mise en place d’un suivi psy… Ce sont des personnes qui ont vécu des choses difficiles et qui ont souvent besoin d’un soutien psy. La scolarité des enfants, le lien avec le Samu Social, trouver des cours de français. Des choses comme ça. Mon boulot, c’est ça : sortir les familles de l’hôtel, en essayant de lever tous les freins, financiers, santé, scolaire, etc.
Et l’association, elle a d’autres services ?
Le CASP, c’est une énorme asso. Je crois qu’on est plus de 500 salariés. Y a plein de services, hébergement, plusieurs trucs dans le social. Mais y a un pôle « Asile », avec entre autres, la CAFDA, d’autres services, et le service « Réfugiés » où je bosse. La plateforme d’accueil des familles en demande d’asile de Paris fait partie de mon asso, c’est pour ça que c’est la seule qui peut nous orienter les familles.
[...]Propos recueillis par Terrains de luttes.
(Crédit photo de une : Marion Lot)
Pour lire la suite : http://terrainsdeluttes.ouvaton.org/?p=6032
[1] Le statut de réfugié est défini en juillet 1951 dans la convention relative au statut des réfugiés, également appelée convention de Genève : « le terme de réfugié s’applique à toute personne craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
[2] La protection subsidiaire est accordée à toute personne dont la situation ne correspond pas au statut de réfugié par pour laquelle il est avéré qu’elle ne pouvait continuer à vivre dans son pays sans risquer d’être torturée, exécutée ou d’être prise dans des situations de conflit armé.